mercredi 8 novembre 2017

Arnaud Danjean "L'ambiguïté comme nouveau mode de conflictualité"

Arnaud Danjean, député européen qui a présidé le comité de rédaction de la Revue stratégique "qui porte la pâte du général de Villiers" était, ce matin, l'invité de l'Association des journalistes de défense (AJD).
Voici quelques-unes des réponses apportées par ce solide connaisseur des affaires stratégiques, qui se définit d'abord comme un "généraliste", aux questions des journalistes.

Les limites de l’action militaire
"Le Sahel est un bon exemple. Nous risquons l’enlisement. Dès lors, comment utiliser les armées à bon escient et éviter la sursollicitation ? Nous avons, aujourd’hui, une génération de responsables militaires parfaitement conscients que l’action militaire seule peut conduire à l’impasse et que lorsqu’on déclenche une intervention, il faut inscrire l’action dans la durée. Et déjà travailler à la stratégie de sortie...."

L’Europe et le Sahel 
"La stratégie européenne pour le Sahel, qui expliquait très bien l’approche globale nécessaire entre sécurité et développement, a été adoptée en mars 2011 par le conseil européen. Soit près de 2 ans avant l’intervention militaire française. Mais elle ne commence à être réellement mise en œuvre que depuis quelques mois. A cause d’atermoiements et de difficultés bureaucratiques et parfois idéologiques entre des acteurs qui n’ont pas de culture stratégique commune."

La situation au Mali 
"Elle se dégrade, particulièrement au centre du pays, avec une radicalisation de la jeunesse peul notamment. C’est un phénomène relativement nouveau qui prend une ampleur inquiétante. Nous assistons à une course contre la montre idéologique avec les jihadistes qui exploitent avec beaucoup d’opportunisme les frustrations de la population."

La soutenabilité des opérations
"Il y aurait, d’après les dernières estimations fournies, 800 militaires américains au Niger. Ce qui est largement ignoré de l’opinion publique américaine. Dans cette zone sahélienne, Washington nous laisse le leadership. Mais nous avons besoin de certaines capacités américaines et ne sommes pas totalement autonomes. Il faut rester vigilants à cet égard, réduire nos dépendances et également ne pas céder à la flatterie ! A être considéré comme les meilleurs alliés, cela peut nous amener à nous nous sentir obligés d’accepter toutes les sollicitations. Quid s’ils nous demandent de remettre des troupes en Afghanistan ? Saura-t-on dire non ? Il nous faut garder une capacité d’autonomie."

Les ennemis 
"Le jihadisme se désigne lui-même comme un ennemi, il n’y a aucune ambiguïté. Mais il ne faut pas réduire cet ennemi à Daesh. Selon moi la menace Al Qaeda reste largement aussi dangereuse. Et ce terrorisme jihadiste ne requiert pas seulement une réponse militaire. Et ne saurait donc être le seul facteur dimensionnant pour nos opérations. N’oublions ainsi pas qu’au Sahel, si les actions des forces spéciales sont la pointe de diamant de la lutte anti-terroriste, nos troupes font aussi de la stabilisation plus « classique ».  Ne l’oublions pas car c’est très utile. 
Les théâtres d’opérations face au jihadisme sont très vastes et continuent de muter : de la Mauritanie aux Philippines. Et la réponse est multidimensionnelle.Mais la réflexion stratégique ne doit pas s’arrêter à l’horizon jihadiste. La Chine, la Russie et les autres puissances qui procèdent à une militarisation massive et rapide, ce ne sont évidemment pas des ennemis mais leur évolution peut faire peser des menaces sur nos intérêts ou sur nos alliés. La communauté de défense n’est pas naïve. Et il nous faut surtout prendre en compte l’ambiguïté comme nouveau mode de conflictualité."