mercredi 13 novembre 2013

L'Azerbaïdjan et ses propriétaires (1)

Crédit : eur.i1
L’Azerbaïdjan mène une guerre de tranchées avec l’Arménie depuis une vingtaine d’années au sujet du Karabakh, sans qu’une perspective de règlement n’apparaisse. Puissance militaire régionale cet Etat, situé sur la ligne de partage entre l’Europe et l’Asie, cherche à émerger. Pour cela Bakou a relancé son industrie de défense depuis 2005 et s’apprête à accueillir en 2014 un salon international de l'armement. Pays de 9,2 millions d’habitants, l’Azerbaïdjan est dirigé par le clan Aliev depuis la chute de l’ex-URSS. Heydar (1993 à 2003) a ensuite fait élire son fils Ilham. Celui-ci vient d’être réélu président (3ème mandat) le 10 octobre après des élections, une nouvelle fois, tronquées. Sa victoire a d’ailleurs été annoncée, nous explique dans cet entretien Mathieu BOULEGUE chercheur à l’IPSE (programme Eurasie-Europe)* la veille du scrutin.



MB : Le 9 octobre, une application pour smartphone, accréditée par la Commission électorale centrale, a involontairement publié les résultats « officiels », accordant au président sortant une victoire écrasante. Une défaite d’Ilham Aliev semblait improbable au regard du niveau de fraude électorale enregistré tant par les observateurs indépendants que par la mission d’observation électorale de l’OSCE/ODIHR qui a relevé des irrégularités dans 58% des bureaux de vote. Le président Aliev a donc été réélu avec 84.77%. Sans les fraudes et falsifications, ce dernier n’aurait probablement pas été reconduit. Le pouvoir disposant de toutes les « ressources administratives », il lui a été facile d’organiser des fraudes à l’échelle nationale en utilisant des techniques bien connues comme le « vote carrousel », le bourrage d’urnes, l’intimidation des électeurs...  

Cette élection n’était-elle pas aussi organisée pour les Occidentaux ?
Ce scrutin présidentiel tient plus d’un réenregistrement tacite et planifié du président sortant que d’un réel choix démocratique. Personne n’était dupe en Azerbaïdjan. Aliev a même modifié la constitution pour étendre son « règne » et se donner ainsi la possibilité de réaliser un troisième mandat. Le vote correspondant alors plus effectivement à une campagne médiatique visant à démontrer la façade démocratique du pays au profit des pays occidentaux, « pour nous faire plaisir ». Les médias locaux ont ainsi mis en avant la pluralité électorale et la présence de 10 candidats aux présidentielles : là encore, il convient de mettre en lumière le fait que 8 de ces 10 candidats n’ont eu pour objectif politique que de promouvoir la candidature d’Aliev. Celui-ci n’a pas réellement fait campagne puisque son activisme politique s’est limité à faire le tour du pays quelques mois avant le scrutin pour inaugurer nouvelles écoles, hôpitaux et autres infrastructures essentielles ainsi que d’augmenter le salaire des fonctionnaires et les retraites de 10% juste avant le scrutin.

 


Photo : Aesma

L’opposition a-t-elle une identité ?
Avant de parler d’identité, il est utile de préciser que la véritable opposition en Azerbaïdjan est pour le moment coalisée autour du Conseil national des forces démocratiques (CNFD), "organisation parapluie" regroupant des partis d’opposition historique, comme le parti Musavat d’Isa Gambar et le Front Populaire d’Ali Keremli, entre autres. Pour le dernier scrutin, le CNFD avait désigné Camil Hasanli comme candidat présidentiel. Faute de mieux puisque les autres prétendants – et notamment le cinéaste Rustam Ibragimbekov – ont été inquiétés par la justice et mis en prison. Dans ces conditions, et au regard des pressions permanentes exercées par le pouvoir en place, l’opposition est aujourd’hui structurée autour d’un seul et unique objectif : chasser la famille Aliev du pouvoir. Il est par conséquent difficile de parler d’une réelle identité mais plutôt d’un but commun fixé par des formations politiques hétéroclites qui ne se seraient probablement jamais alliées dans d’autres conditions. « L’identité » de l’opposition est donc formée autour de la cristallisation du mécontentement populaire contre Aliev et la dénonciation de la corruption généralisée – Hasanli a d’ailleurs focalisé sa campagne électorale sur ce dernier point.
Point positif pour l’opposition, l’utilisation croissante des médias sociaux comme Facebook et les « flash mobs » par les jeunes activistes semble revitaliser la contestation politique, de même que les Azerbaïdjanais semblent renouer avec les manifestations comme mode d’action contestataire. 
  
Manifestation de l'opposition à Bakou (photo Aesma)

Phénomène récent : la montée de l’islam et des islamistes…                                            Il est beaucoup question d’une « troisième voie » religieuse en Azerbaïdjan, située entre un pouvoir politique corrompu et une opposition incapable de prendre le pouvoir par les urnes. L’Azerbaïdjan joue grandement, et à raison, sur la rhétorique de la « puissance chiite modérée » et progressiste dans une région en proie aux conflits interconfessionnels. Environ 80% de la population nationale se revendique chiite.Toutefois des forces religieuses extrémistes, aussi bien chiites que sunnites, sont présentes dans la société azerbaïdjanaise et semblent capable de fédérer un certain nombre de mécontentement de la population concernant les problèmes de développement, les inégalités, le chômage, la corruption et la désillusion contre le pouvoir en place. On parle ainsi d’organisations sociales iraniennes actives principalement dans le sud du pays, de groupes islamisés d’origine turque dans le nord et de quelques éléments salafistes provenant du Daghestan voisin. Ces dernières agissent « par le bas » au sein de la société civile afin de pallier les déficiences socio-économiques du pouvoir central. Ces forces radicales demeurent malgré tout limitées à l’heure actuelle et sont systématiquement réprimées par les autorités. Il est par conséquent difficile de parler d’une réelle « montée » de l’intégrisme musulman en Azerbaïdjan. 


L’azerbaïdjan est riche grâce au pétrole et au gaz. Faut-il vous demander a qui profite la rente ?

Oui, l’Azerbaïdjan est désormais un pays de rente énergétique. il ne s’agit pas seulement de revenus pétroliers mais également gaziers car le "peak oil" menace la stabilité des exportations énergetiques du pays. l’Azerbaïdjan a par conséquent largement développe ses activités gazières depuis 2010, a tel point que l’on parle aujourd'hui d’une "ère gazière" pour suppléer l’age d’or du pétrole.
Cette manne énergétique ne profite réellement qu’a une minorité d’individus – moins de 1% de la population – représentée par la famille Aliev, son entourage, et une poignée d’oligarques proches du pouvoir, détenant des pans entiers de l’économie nationale. la rente énergetique permet d’auto-entretenir le système népotique en place basé sur la corruption, le détournement de fonds et l’accaparement a très grande échelle de l’économie nationale. la rente n’est bien entendu pas redistribuee au sein de la population, creant ainsi des disparités socio-économiques grotesques entre une ultra-minorité rentière et le reste de la population. afin de soutenir la croissance – artificiellement gonflée par les revenus d’exportation d’énergie – les oligarques se sont lances dans de vastes campagnes de construction qui ont conduit a un boom immobilier dans la capitale Bakou (au détriment du vieux centre, presque entièrement rasé, sur les ruines duquel des bâtiments de 20 étages vides d’occupants poussent comme des champignons). L’Azerbaïdjan commence d’ailleurs a souffrir du « syndrome hollandais » : le pays ne dispose plus d’un parc industriel permettant de se substituer a d’éventuelles diminutions des exportations énergetiques et n’est plus en mesure de relancer ces activités. en fait, le pays ne produit donc plus rien mis a part la rente. 

 


* Institut prospective et sécurité en Europe



 

Suite de l’entretien " Les ambitions militaires de  l'Azerbaïdjan " dans un prochain post…