samedi 30 novembre 2013

Affaire Hami (suite)

Le sous-lieutenant Hami, élève de Saint-Cyr Coëtquidan est mort noyé le 30 octobre 2012, lors de la traversée d’un étang d’une cinquantaine de mètres, dans le cadre d’une soirée de " transmission des traditions" (posts du 31/10/2012 et du 29 juillet 2013). Le parquet militaire de Rennes a ouvert une enquête. Le ministre de la défense a également ordonné une enquête de commandement. Qui a été menée par le général de corps aérien Rousseau, inspecteur des armées. Celui-ci a conclu que ces activités de tradition, relevant de la chaîne de commandement, engageaient « la responsabilité directe » du lieutenant-colonel, commandant le bataillon, qui a aujourd’hui quitté l’armée. Quant au général, commandant les écoles, aucune responsabilité personnelle n’a été pointée. Seule la responsabilité « es-qualité ».

lundi 25 novembre 2013

Centrafrique. "Au printemps, je leur ai dit faites décoller deux coucous et vous leur ferez peur..."

Cet intellectuel centrafricain est régulièrement consulté par les autorités françaises. Il ne souhaite pas que son nom soit dévoilé et pour cela utilise un pseudonyme, comme tous les membres du bureau de la Ligue des patriotes de Centrafrique (LIPAC). Lui, "Jacob Asso" en est le secrétaire général. Dans l'attente d'une probable intervention militaire, conditionnée par le vote, ces prochains heures, d'une résolution par le conseil de sécurité de l'ONU, il livre son analyse :
"Au début du printemps, j'ai dit à mes interlocuteurs : Faites décoller deux coucous et vous leur ferez peur. Sinon, dans huit mois, vous aurez à intervenir dans une crise généralisée...Nous y sommes ! Une intervention de l'ONU ? Cela marche là où il y a un Etat, des interlocuteurs. Mais il n'y a plus d'Etat en RCA et la classe politique est décriée par toute la population. Même au sein du gouvernement actuel, des voix s'élèvent pour dire que le pays doit être placé sous la tutelle de l'ONU. 
Nous devons aussi nous interroger sur les raisons du désastre. Qui n'est pas venu brutalement. Il y a vingt, vingt cinq ans, le FMI nous disait que "cela marchait". Alors ? L'histoire de notre pays est rythmée par la France. Celle-ci a souvent fait les mauvais choix...
Aujourd'hui, mon pays est sous occupation de 25 000 non-Centrafricains, des musulmans, qui sèment la terreur..."

dimanche 24 novembre 2013

Un service militaire obligatoire ?

Crédit : berthoalain.com
...En Papouasie Nouvelle-Guinée où le Premier ministre souhaiterait l’instaurer afin de lutter contre la délinquance juvénile et « une perte de repères traditionnels et identitaires » chez les jeunes. Si cette annonce a créé une polémique, Peter O’Neill entend répondre ainsi à la recrudescence de la criminalité qui touche notamment les grandes villes de ce pays océanien, Port-Moresby – considérée comme l’une des capitales les plus dangereuses au monde- ou Lae (2ème ville). En mai dernier, le parlement papou a réintroduit la peine de mort (avec Flash d’Océanie : http://newspad-pacific.info/).

lundi 18 novembre 2013

Du moral dans l’armée de terre. Paroles d’acteurs.

Le moral est une boussole. Particulièrement lorsqu’une société vit des bouleversements et des incertitudes, que les mauvaises nouvelles s’accumulent, que les repères sont brouillés, que les perspectives ne s’écrivent plus qu’à court terme. Chacun se sent perdu. Rassurer n’est guère aisé et se rassurer est encore plus difficile. Les bouleversements structurels sont en cause mais les impacts du quotidien constituent des échos parfois assourdissants. Ils concernent autant la société civile que les armées qui vivent, depuis près de six ans, au rythme des restructurations. C’est sur ces dernières et en particulier l’armée de terre, que nous avons porté notre regard. Et écouté des acteurs. Militaires et civils...

Cet officier dont la fonction lui permet d’obtenir une « vue d’ensemble » explique : « Sur le terrain il y a des gens radieux. Mais à Paris par exemple, le son de cloche est différent ». Dans la catégorie des militaires « satisfaits », il faut particulièrement intégrer ceux qui partent en OPEX. « Mais » ajoute-t-il aussitôt, « il ne faut pas résumer l’armée à ces seules opérations ». Le budget « opérations extérieures » de la loi de programmation militaire (2014-2019) apporte une réponse précise à ce « risque », retenant un montant prévisionnel annuel de 450 millions d’euros (contre 630 en 2013).
Autre aspect considéré comme positif : la préparation opérationnelle. Avec un bémol, la disponibilité technique des matériels. Ainsi ceux qui rentrent d’Afghanistan doivent être remis en état (« métropolisation »). Ce qui prend du temps. Traité avec humour, et pour reprendre un sketch de Fernand Raynaud qui s’interrogeait sur la période que met le fût du canon pour refroidir, la réponse fusait ainsi : « Cela prend un certain temps ! ».

Les mécontentements
Dans le hit-parade de ces mécontentements figure en tête l’incontournable et médiatique Louvois (qui fût secrétaire d’Etat à la guerre de Louis XIV). Le système de paie défaillant est devenu champion du dysfonctionnent. « Mais a-t-on réglé l’idée qu’il y a un problème ? » feint de s’interroger un parlementaire très au fait des affaires militaires. « Tous les acteurs concernés » poursuit-il «ont-ils pris la mesure de la « débâcle administrative » ? Ainsi, l’imposition sur les trop-perçus. « Qui génère un stress auquel les militaires ne sont pas habitués ».
La vie courante dans les bases de défense est un autre point-clé du mécontentement. On y voit des hommes et des femmes contraints d’utiliser leur ordinateur personnel, leur propre véhicule pour effectuer des missions professionnelles mais aussi…apporter leur papier hygiénique. Phénomène qui en dit long sur cette paupérisation qui semble gagner du terrain. « Ce qui est ressenti comme une forme de vexation » estime un haut fonctionnaire militaire. Un témoin, raconte cette double anecdote. « Dans la cité des cadres de Villacoublay, la chaudière est en panne. Il n’y a pas de crédits pour la réparer. Alors, les personnels se débrouillent. A l’école du génie d’Angers, même problème. Là aussi on a installé des douches de campagne pour les stagiaires ». Un député de la majorité, membre de la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale commente : « On a récemment dit aux militaires voilà 30 millions d’euros. Dépensez-les ! Le risque est de les dépenser mal ».

Et encore
Autre facteur de crispation, l’entretien des infrastructures. « On ne construit plus, on n’entretient plus » constate un officier supérieur. « Les besoins sont de 11 € par surface bâtie. Nous ne disposons pas du quart ! ». Un autre : « Comme les crédits manquent nous assistons à un phénomène de « réinternalisation ». Ainsi, il n' y a plus d’argent pour tondre les espaces verts. Alors la main-d’œuvre est à nouveau militaire mais sans les moyens du passé. Autres exemples : gardiennage des emprises, bus fournis aux unités des forces (soutenus) sans conducteurs...que la formation bénéficiaire du soutien doit donc trouver. « Les soutenus » sont obligés de participer à leur propre soutien, voire à le reprendre en intégralité dans certains domaines" explique un officier.
« Tout le monde le sait maintenant. Nous sommes en déflation constante. Moins 24 000 suppressions à venir. N’oublions pas les 10.000 postes qui restent encore à supprimer au titre de la dernière LPM ! » rappelle ce spécialiste des ressources humaines. « Le soutien perdra 15 000 postes. Aujourd’hui, il n’y plus rien à prendre ! » déplore un officier de l’état-major des armées (EMA). A cette déflation, il faut ajouter le « dépyramidage ». « La précédente réforme n’a pas permis de gagner en masse salariale », précise-t-il. Et d’ajouter, certain de son effet « car d’un autre côté, on a créé 700 postes OTAN, d’autres pour la cyberdéfense… ». Concluant : « Le taux d’encadrement en officiers doit descendre à 16% . Nous aimerions que cela soit valable pour les personnels civils de catégories A qui ont augmenté de 25%, ces cinq dernières années ! ». Autre phénomène mécanique : ce « dépyramidage » influe sur le tableau d’avancement des colonels. « Nous fabriquons des brevetés qui n’atteindront pas le grade ! » constate un jeune retraité. Les mesures d’incitation au départ seront-elles suffisantes (pécule, pension afférente au grade supérieur, promotion fonctionnelle sous condition…) ? ». Reste une question : leur financement.

Demain
Ce « grand chambardement » concerne également d’autres catégories d’officiers, anciens, qui faute de perspectives d’avancement conformes à leurs ambitions risquent de partir… « Ce seront les meilleurs d’entre eux qui se recaseront le mieux ! » commente un spécialiste du reclassement. Un proche de l’Hôtel de Brienne et du cabinet, sur lequel convergent beaucoup de critiques (parmi d’autres le « saquage » de deux colonels siégeant au Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) après la réunion houleuse du 21 juin dernier, le rôle du directeur de cabinet du ministre…) conclut ainsi : « Je crois que Jean-Yves le Drian et ses collaborateurs du cabinet ont pris conscience qu’il fallait des moyens pour améliorer le système Bdd. C’est un système que l’on n’a pas choisi. Et nous sommes contraints de remanier le déficit ! ».         Face aux restrictions, le système D prévaut. Rien de bien nouveau. Son recours sera-t-il systématisé ? Le colonel Le Gal, chef de corps du 31ème régiment de génie (Castelsarrasin, Tarn-et-Garonne) lui, est parti à la recherche de partenaires extérieurs utilisant « une marge de manœuvre pour valoriser le régiment ». Son objectif : financer une salle de traditions régimentaires qui permettrait notamment d’améliorer le parcours initiatique des jeunes engagés. « C’est une initiative individuelle innovante et…osée ! » commente-t-on boulevard Saint-Germain.

dimanche 17 novembre 2013

Les espions se livrent


…dans une exposition retraçant les relations entre littératures et renseignement. Une manifestation pour laquelle, annonce le ministère de la défense, " la DGSE a accepté de dévoiler certains de ses documents et objets". Réalisée à partir des fonds de la bibliothèque des littératures policières (Bilipo), de collections des services français, cette exposition dévoile « la relations trouble et complexe entre les services et l’écrit de 1800 à 1989 ». A travers écrivains espionnés, écrivains espions et écrivains d’espionnage, l’exposition permet de saisir selon ses concepteurs "comment s’est bâti un pan de l’imaginaire moderne à travers littérature populaire et cinéma".
Des documents ou objets authentiques utilisés par des agents du BCRA, du SDECE et de la DGSE sont présentés. Et de citer des montres appareils-photos ou à détecter les radiations, des machines à écrire destinée à transcoder, des endoscopes pour regarder dans les serrures, des micros dissimulés dans un livre et…des sous-vêtements féminins à poche secrète. Une exposition qui a ouvert ses portes quelques jours après la disparition de Gérard de Villiers.

Jusqu’au 24 mars 2014, Bilipo, 48-50, rue du cardinal Lemoine 75005 Paris



vendredi 15 novembre 2013

Les ambitions militaires de l'Azerbaïdjan (2)

Ce pays du Caucase vit depuis la fin de l'ex-URSS sous la domination du clan Aliev. Qui en contrôle tous les rouages, qu'ils soient politiques ou économiques (post du 13 novembre). Dans ce second entretien, nous examinons avec Mathieu BOULEGUE, chercheur à l’IPSE *(programme Eurasie-Europe), les ambitions militaires de l'Azerbaïdjan.
                                                                         crédit : wikipedia                                                   
Le conflit du Karabakh dure depuis 20 ans ; Azéris et Arméniens ne sont pourtant pas pressés d’y mettre fin. Pourquoi ?
MB : Cela fait presque deux décennies, en effet, que le conflit du Karabakh perdure, ce qui en fait la plus longue guerre de tranchées de l’Histoire. Tragiquement, la préservation de cette situation est  bénéfique aux deux Etats, officiellement en guerre. 
Pour l’Azerbaïdjan, se lancer dans une aventure militaire reviendrait à risquer de perdre la rente énergétique sur laquelle la famille Aliev s’est consolidée depuis le « contrat du siècle » de 1994. La guerre n’est donc pas une option valable pour le pouvoir en place. Par ailleurs, l’explosion du budget de la défense depuis 10 ans permet au pays de se lancer dans une sorte de politique de « défiscalisation » à grande échelle, afin de trouver un relais de croissance supplémentaire mais également de concilier un certain nombre d’opérations de détournement de fonds. De plus, la rhétorique belliqueuse permanente permet de garder la situation suffisamment sous tension et flatter ainsi le nationalisme.
Pour l’Arménie, la préservation de ce statu quo implique que la « République du Haut-Karabakh » demeure sous son contrôle. Se livrer à des provocations serait contre-productif, Erevan pouvant se retrouver en position de faiblesse à la table des négociations. L’Arménie joue également sur sa victimisation dans le conflit et profite du lobbying actif de sa diaspora... Les perspectives de règlement du conflit sont donc bloquées !

Les présidents Poutine et Aliev à Bakou en 2013 (RIA)
Comment la Russie  considère-telle l’Azerbaïdjan ?
De manière assez ambiguë ! Les rapports entre Moscou et Bakou sont marquées par de profondes dissensions, notamment sur la question énergétique et le Karabakh. Pour faire simple, c’est principalement grâce à la rente énergétique et le transit des pipelines que l’Azerbaïdjan est aujourd’hui un Etat autonome vis-à-vis de la Russie. Sans quoi Bakou aurait rejoint le giron russe depuis longtemps…
Plusieurs points irritent la Russie et ternissent les relations bilatérales. D’abord l’Azerbaïdjan s’est retiré de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC, alliance militaire des anciens pays soviétiques) en 1999 pour rejoindre, la même année, l’organisation du GUAM, ouvertement tournée contre la Russie. Le rapprochement entre Bakou et Tbilissi à la suite de la guerre russo-géorgienne d’août 2008, a également été mal perçu par Moscou. Les deux pays sont en réalité dans une forme de confrontation vis-à-vis de la Turquie et de l’Iran, deux alliés sur lesquels l’Azerbaïdjan compte activement et que la Russie courtise.
Au cours de l’année 2013, plusieurs développements internationaux ont provoqué une nouvelle phase de tension. Ainsi la fermeture provoquée par Bakou de la station radar de Gabala, prêtée aux forces armées russes  ou encore la mise en avant du gazoduc TANAP. De plus, Moscou ne semble pas parvenir à exercer une pression suffisante pour forcer l’Azerbaïdjan à rejoindre l’Union Eurasienne. Enfin, Moscou soutient plus ou moins ouvertement l’Arménie dans le conflit du Karabakh, notamment en lui fournissant la majorité de son matériel militaire. Moscou a également tout intérêt à préserver le statu quo dans ce conflit tant d’un point de vue stratégique qu’énergétique.

Les Azeris se positionnent et lancent un salon de l’armement à Bakou en 2014 ?
De manière assez surprenante en effet ! En avril 2013, le ministre de l’industrie de défense Yaver Djamalov avait annoncé que la capitale accueillerait un salon international de défense, ADEX, du 11 au 13 septembre 2014. L’Azerbaïdjan cherche à développer son complexe militaro-industriel national via la production interne d’équipements et de matériel militaire.
Il est vrai que l’industrie de défense azérie a réalisé des progrès notables en matière de production indigène ces derniers années, dans le domaine des armes légères et de petit calibre (notamment le fusil de précision Istiglal) ou encore des véhicules de transport blindés (comme les modèles Matador et Marauder dont la licence de production a été achetée à l’Afrique du Sud en 2009). La création d’un ministère de l’industrie de défense en 2005 a permis la mise en place de grands projets, en particulier de centres de production de munitions. Il convient toutefois de relativiser ces succès internes car le complexe militaro-industriel de l’Azerbaïdjan reste très faible technologiquement et dépend en grande partie de la coopération internationale. Notamment des productions conjointes avec des partenaires diversifiés comme l’Afrique du Sud, la Turquie ou Israël. Le salon ADEX intègre cette logique qui pourrait permettre une montée en gamme.
De manière plus insidieuse, l’organisation d’ADEX permet d’exercer une pression indirecte sur l’Arménie en mettant en avant les avancées militaires « spectaculaires » de l’Azerbaïdjan.

Les Azéris voudraient également se positionner sur le marché des drones ?
Ils sont demandeurs et même producteurs. En février 2012, la signature d’un contrat de défense avec Israël a fait grand bruit (notamment en Iran et en Arménie) puisqu’il a conduit à la vente pour 1.6 milliards de dollars d’armement à l’Azerbaïdjan ; principalement des drones Heron et Searcher ainsi que d’autres systèmes de défense anti-aérien. Cette question des drones israéliens avait déjà été abordée lors de la visite de Shimon Peres à Bakou en 2009. Des accords de production ont suivi. En mars 2011, la joint-venture Azad Systems a vu le jour entre l’Azerbaïdjan et la société israélienne Aeronautics Defense Systems pour la production conjointe de drones type Aerostar et Orbiter. Toutefois, l’implication azerbaïdjanaise se limite à la production de quelques composants et à l’assemblage sur place. De plus, le contrat n’aurait pas permis de transferts de technologie importants.
Les drones sont utiles pour les forces armées d’Azerbaïdjan à des fins de surveillance et de reconnaissance. Fin 2011, un drone azerbaïdjanais a d’ailleurs été abattu par les forces du Karabakh sur la ligne de contact, confirmant la présence de ces engins dans les activités de renseignement militaire. 


Institut prospective et sécurité en Europe

mercredi 13 novembre 2013

L'Azerbaïdjan et ses propriétaires (1)

Crédit : eur.i1
L’Azerbaïdjan mène une guerre de tranchées avec l’Arménie depuis une vingtaine d’années au sujet du Karabakh, sans qu’une perspective de règlement n’apparaisse. Puissance militaire régionale cet Etat, situé sur la ligne de partage entre l’Europe et l’Asie, cherche à émerger. Pour cela Bakou a relancé son industrie de défense depuis 2005 et s’apprête à accueillir en 2014 un salon international de l'armement. Pays de 9,2 millions d’habitants, l’Azerbaïdjan est dirigé par le clan Aliev depuis la chute de l’ex-URSS. Heydar (1993 à 2003) a ensuite fait élire son fils Ilham. Celui-ci vient d’être réélu président (3ème mandat) le 10 octobre après des élections, une nouvelle fois, tronquées. Sa victoire a d’ailleurs été annoncée, nous explique dans cet entretien Mathieu BOULEGUE chercheur à l’IPSE (programme Eurasie-Europe)* la veille du scrutin.



MB : Le 9 octobre, une application pour smartphone, accréditée par la Commission électorale centrale, a involontairement publié les résultats « officiels », accordant au président sortant une victoire écrasante. Une défaite d’Ilham Aliev semblait improbable au regard du niveau de fraude électorale enregistré tant par les observateurs indépendants que par la mission d’observation électorale de l’OSCE/ODIHR qui a relevé des irrégularités dans 58% des bureaux de vote. Le président Aliev a donc été réélu avec 84.77%. Sans les fraudes et falsifications, ce dernier n’aurait probablement pas été reconduit. Le pouvoir disposant de toutes les « ressources administratives », il lui a été facile d’organiser des fraudes à l’échelle nationale en utilisant des techniques bien connues comme le « vote carrousel », le bourrage d’urnes, l’intimidation des électeurs...  

Cette élection n’était-elle pas aussi organisée pour les Occidentaux ?
Ce scrutin présidentiel tient plus d’un réenregistrement tacite et planifié du président sortant que d’un réel choix démocratique. Personne n’était dupe en Azerbaïdjan. Aliev a même modifié la constitution pour étendre son « règne » et se donner ainsi la possibilité de réaliser un troisième mandat. Le vote correspondant alors plus effectivement à une campagne médiatique visant à démontrer la façade démocratique du pays au profit des pays occidentaux, « pour nous faire plaisir ». Les médias locaux ont ainsi mis en avant la pluralité électorale et la présence de 10 candidats aux présidentielles : là encore, il convient de mettre en lumière le fait que 8 de ces 10 candidats n’ont eu pour objectif politique que de promouvoir la candidature d’Aliev. Celui-ci n’a pas réellement fait campagne puisque son activisme politique s’est limité à faire le tour du pays quelques mois avant le scrutin pour inaugurer nouvelles écoles, hôpitaux et autres infrastructures essentielles ainsi que d’augmenter le salaire des fonctionnaires et les retraites de 10% juste avant le scrutin.

 


Photo : Aesma

L’opposition a-t-elle une identité ?
Avant de parler d’identité, il est utile de préciser que la véritable opposition en Azerbaïdjan est pour le moment coalisée autour du Conseil national des forces démocratiques (CNFD), "organisation parapluie" regroupant des partis d’opposition historique, comme le parti Musavat d’Isa Gambar et le Front Populaire d’Ali Keremli, entre autres. Pour le dernier scrutin, le CNFD avait désigné Camil Hasanli comme candidat présidentiel. Faute de mieux puisque les autres prétendants – et notamment le cinéaste Rustam Ibragimbekov – ont été inquiétés par la justice et mis en prison. Dans ces conditions, et au regard des pressions permanentes exercées par le pouvoir en place, l’opposition est aujourd’hui structurée autour d’un seul et unique objectif : chasser la famille Aliev du pouvoir. Il est par conséquent difficile de parler d’une réelle identité mais plutôt d’un but commun fixé par des formations politiques hétéroclites qui ne se seraient probablement jamais alliées dans d’autres conditions. « L’identité » de l’opposition est donc formée autour de la cristallisation du mécontentement populaire contre Aliev et la dénonciation de la corruption généralisée – Hasanli a d’ailleurs focalisé sa campagne électorale sur ce dernier point.
Point positif pour l’opposition, l’utilisation croissante des médias sociaux comme Facebook et les « flash mobs » par les jeunes activistes semble revitaliser la contestation politique, de même que les Azerbaïdjanais semblent renouer avec les manifestations comme mode d’action contestataire. 
  
Manifestation de l'opposition à Bakou (photo Aesma)

Phénomène récent : la montée de l’islam et des islamistes…                                            Il est beaucoup question d’une « troisième voie » religieuse en Azerbaïdjan, située entre un pouvoir politique corrompu et une opposition incapable de prendre le pouvoir par les urnes. L’Azerbaïdjan joue grandement, et à raison, sur la rhétorique de la « puissance chiite modérée » et progressiste dans une région en proie aux conflits interconfessionnels. Environ 80% de la population nationale se revendique chiite.Toutefois des forces religieuses extrémistes, aussi bien chiites que sunnites, sont présentes dans la société azerbaïdjanaise et semblent capable de fédérer un certain nombre de mécontentement de la population concernant les problèmes de développement, les inégalités, le chômage, la corruption et la désillusion contre le pouvoir en place. On parle ainsi d’organisations sociales iraniennes actives principalement dans le sud du pays, de groupes islamisés d’origine turque dans le nord et de quelques éléments salafistes provenant du Daghestan voisin. Ces dernières agissent « par le bas » au sein de la société civile afin de pallier les déficiences socio-économiques du pouvoir central. Ces forces radicales demeurent malgré tout limitées à l’heure actuelle et sont systématiquement réprimées par les autorités. Il est par conséquent difficile de parler d’une réelle « montée » de l’intégrisme musulman en Azerbaïdjan. 


L’azerbaïdjan est riche grâce au pétrole et au gaz. Faut-il vous demander a qui profite la rente ?

Oui, l’Azerbaïdjan est désormais un pays de rente énergétique. il ne s’agit pas seulement de revenus pétroliers mais également gaziers car le "peak oil" menace la stabilité des exportations énergetiques du pays. l’Azerbaïdjan a par conséquent largement développe ses activités gazières depuis 2010, a tel point que l’on parle aujourd'hui d’une "ère gazière" pour suppléer l’age d’or du pétrole.
Cette manne énergétique ne profite réellement qu’a une minorité d’individus – moins de 1% de la population – représentée par la famille Aliev, son entourage, et une poignée d’oligarques proches du pouvoir, détenant des pans entiers de l’économie nationale. la rente énergetique permet d’auto-entretenir le système népotique en place basé sur la corruption, le détournement de fonds et l’accaparement a très grande échelle de l’économie nationale. la rente n’est bien entendu pas redistribuee au sein de la population, creant ainsi des disparités socio-économiques grotesques entre une ultra-minorité rentière et le reste de la population. afin de soutenir la croissance – artificiellement gonflée par les revenus d’exportation d’énergie – les oligarques se sont lances dans de vastes campagnes de construction qui ont conduit a un boom immobilier dans la capitale Bakou (au détriment du vieux centre, presque entièrement rasé, sur les ruines duquel des bâtiments de 20 étages vides d’occupants poussent comme des champignons). L’Azerbaïdjan commence d’ailleurs a souffrir du « syndrome hollandais » : le pays ne dispose plus d’un parc industriel permettant de se substituer a d’éventuelles diminutions des exportations énergetiques et n’est plus en mesure de relancer ces activités. en fait, le pays ne produit donc plus rien mis a part la rente. 

 


* Institut prospective et sécurité en Europe



 

Suite de l’entretien " Les ambitions militaires de  l'Azerbaïdjan " dans un prochain post…