mercredi 2 mai 2012

La France et son passé


Je regardais lundi à Aubagne, le Compagnon de la Libération Hubert Germain au milieu des siens, les légionnaires. Il y a quelques jours, j’évoquais avec le chancelier de l’Ordre de la Libération Fred Moore le moment du balancement, cet instant où ces jeunes hommes ont décidé de tout quitter pour entrer en résistance. Pour H. Germain, pour F. Moore, ce fut juin 1940 ;  ils décidèrent de partir à Londres "pour faire quelque chose".
Ce choix, leur destin (qui vaut pour les hommes et les femmes qui choisirent la Résistance intérieure), est représentatif de ce que vécut la population, écartelée entre Vichy et Londres, entre engagement et attentisme, entre prudence et désobéissance, entre honneur et humiliation, entre modestie (de ces hommes) et gloriole (des combattants de la dernière heure). Les uns optèrent pour la poursuite du combat. D’autres, aussi jeunes, glissèrent, petit à petit, vers le camp adverse, le plus éloigné, celui de la collaboration et, pour certains, l’une de ses formes les plus pernicieuses (et efficace), celle des mots. Pourtant, au moment de la « drôle de guerre », tous partageaient le constat établi par un garçon à peine plus âgé qu’eux, Robert Brasillach (fusillé en 1945) : " Nous avions aussi la tâche importante de poursuivre notre jeunesse ". Mais qu’il est intéressant pour déchiffrer et baliser les chemins du désastre d’analyser la France du 11 novembre 1918 et des vingt et un anniversaires qui suivront !
Ces hommes et ces femmes, ces libérateurs en puissance, oeuvrant dans l’ombre, possédaient un point commun : ils étaient des volontaires. Imagine-t-on tout ce que cette expression renferme comme abnégation au moment du choix ? Tout ce qu’elle suppose comme difficultés, dès lors qu’il s’agit de passer aux actes ? Leur engagement repose sur des valeurs : patriotisme, don de soi, sens de l’intérêt général, sens de l’honneur... Cette résistance fut diverse, évolutive, réfléchie et spontanée, généreuse, terriblement dangereuse, angoissante... Leur engagement a, après la Libération, constitué le viatique de la France qui renaissait. C’est-à-dire que l’image d’une minorité de Français a donné naissance à un pays collectivement résistant. Peu de réflexion sur la culpabilité, place à l’allégorie mystique. Comme si, l’écrivait Paul Thibault dans la revue Esprit, le courage de la minorité significative pouvait être attribué à la France. Le paradoxe national a toutefois enregistré des milliers de gestes simples et désintéressés qui sont autant d’actes de résistance.
Au terme de la guerre (1944) a été constituée une plate-forme politique et éthique, le programme du Conseil national de la Résistance (CNR), destinée à définir les grandes orientations de l’après-Libération et de la future République. Elle a abouti, par exemple, à la création de la Sécurité sociale, à la mise en place des régimes de retraite, à la création d’EDF...Ces valeurs dites de la Résistance ont imprégné durablement la société française ; l’opinion les faisant progresser et le législateur leur donnant une légitimité. Elles sont de deux ordres. Des valeurs universelles (liberté, droits de l’homme, égalité, solidarité, démocratie, justice...) et des valeurs "nationales" (reconstruction, retour de la France dans le concert des nations, sécurité...). Ce programme du CNR conserve une actualité. Il constitue l’architecture historique de notre société de l’après-guerre.
Notre quotidien est encore truffé de références à la Seconde Guerre mondiale, à l’Occupation, à la Résistance. Les fantômes mais aussi les héros y sont encore très présents ; nous y convoquons toujours autant de références, souvent improvisées, pour alimenter la discussion, le débat. La campagne électorale pour la présidentielle y a abondamment puisé la semaine dernière. On s'est jeté à la figure le nom de certaines ombres de la Collaboration. Pour la première fois, personne n'a décidé de poursuivre son adversaire devant la justice. Un tabou est-il en train de tomber ? 
L'histoire est à utiliser avec prudence. Pierre Nora met souvent en garde contre l'usage politique de cette science sociale. L'une de ses dernières interventions s'intitulait : "L'histoire au péril de la politique".