dimanche 25 décembre 2011

Propos tchécoslovaques


La disparition de Vaclav Havel m'a ramené vers un passé proche, une génération, mais finalement si lointain...


C'était en décembre 1989. L’homme monta sur l’estrade, s’avança lentement et enleva son chapeau, en signe de respect pour saluer la foule qui se trouvait sur la place du Forum. Il était environ 17 heures, il faisait froid, mais la neige avait cessé de tomber. De tous les côtés, des applaudissements retentirent. Certains enlevèrent même leurs gants pour manifester leur engouement. Après plusieurs autres intervenants, il prit quelques minutes la parole. Bratislava lui fit un triomphe. Alexandre Dubcek sortait de sa résidence surveillée. Premier secrétaire du Comité central du parti communiste de Tchécoslovaquie de janvier 1968 à avril 1969, il incarnait « le communisme à visage humain ».
Arrêté lors de l’entrée des chars russes, le 21 août 1968, il est conduit à Moscou pour y signer des accords de « normalisation». Démissionné en avril suivant, il est nommé ambassadeur en Turquie où il refuse de faire son autocritique. Exclu du PC, interdit de toute activité politique, étroitement surveillé, il est alors employé, à un poste subalterne dans l’administration forestière.
Un véhicule de police stationne en permanence, encore à la fin de cette année 1989, devant sa résidence des hauteurs de la ville pour y surveiller ses faits et gestes. La routine d’un régime qui allait s’affaler. C’était donc la première apparition publique de Dubcek depuis vingt ans. Le lendemain, à 6 heures, il prit l’autobus pour Prague afin de rencontrer le poète Vaclav Havel, leader de la Révolution de velours. Le mur de Berlin venait de tomber quelques jours plus tôt.
J’ai gardé d’un deuxième séjour en Tchécoslovaquie effectué quelques jours plus tard, des images plus dramatiques. Un accident de voiture en début de nuit, dans les environs de Prague, quelques heures passées par le cameraman Nicolas Moscara aux urgences d’un hôpital de la capitale, un diagnostic établi en latin par l’interne à destination de ses confrères parisiens, un retour à l’hôtel, une visite à 3 heures du matin de la police, suivi d’un long interrogatoire dans des locaux ombreux par deux hommes en civil face auxquels l’interprète était terrifiée, une déposition dans laquelle, étant responsable de l’accident (où seuls Nicolas et moi avions été blessés), je reconnaissais, pour clore cette « sinistre satire », avoir « causé du tort à des citoyens tchécoslovaques». Ce qui sembla satisfaire ces deux fonctionnaires qui nous relâchèrent à 7 heures. Avant notre accident, depuis Vienne où nous avions loué ce véhicule, nous avions eu le temps de réfléchir au premier reportage que nous tournerions à Prague. J’avais proposé d’aller à la recherche de la tombe de Jan Palach, ce jeune étudiant de vingt ans qui s’était immolé par le feu, le 16 janvier 1969, pour protester contre l’invasion de son pays par les troupes du pacte de Varsovie. Le régime avait-il exilé sa dépouille dans une lointaine banlieue ou, au contraire, sa tombe était-elle fleurie régulièrement ? Était-il un symbole pour la résistance anticommuniste ? Je n’ai eu la réponse à mes questions que bien plus tard, lors d’un voyage entrepris au début des années 2000. Quasiment aucun des jeunes gens rencontrés, nés après 1968, ne connaissait ce nom. J’ai eu beaucoup de mal à retrouver cette sépulture. Uniquement grâce à des personnes « âgées ». Sempiternel constat : la jeune génération ne connaît pas l’histoire de son propre pays. Sacrée gêne ! Ces années cruelles appartiennent à un autre passé. Que signifie pour elle le sacrifice d’une jeune vie ?